LES FLEURS DES HUMBLES

Elles peuvent couvrir les champs et les prairies ou se contenter, discrètes, d'orner les sous-bois et les poches de terre entre les rochers de montagne. Elles n'attirent pas l'attention par leur flamboiement, mais par simplicité; elles sont fréquentes, discrètes même lorsqu'elles sont nombreuses. Elles sont gaies, mais on les remarque à peine tant elles peuvent être ordinaires. Victimes de cette forme d'ostracisme qui consiste à déconsidérer ce qui est courant et à dénier qualités et mérites à ce qui vit en grandes quantités, à les regarder de plus près, elles ne sont pourtant ni moins délicates, ni moins parfumées ou rustiques que d'autres espèces plus réputées...
Humer le parfum de l'aspérule odorante et de la violette, contempler la déclinaison chromatique des primevères, apprécier la délicatesse des campanules et des églantines, s'émerveiller de l'éblouissante splendeur des marguerites et des reines-des-près, n'est-ce pas en soi tout un programme consistant à retrouver cette émotion particulière qu'on nomme l'esthétique, ce sentiment qui élève l'âme, le baume du tragique. Les fleurs des humbles, c'est le plaisir partagé, accessible à tous, fort parce que les qualités sont éminentes, à la fois évidentes et cependant cachées à ceux dont le regard refuse de voir la beauté modestement disposée sous leurs yeux.

Extrait de " La cuisine vagabonde" de Jean-Philippe Derenne